Le sexisme au travail ? Encore aujourd’hui ?

Auteur: Partena Professional (Julie - Coach RH)
Temps de lecture: 8min
Date de publication: 02/04/2019 - 15:45
Dernière mise à jour: 15/11/2019 - 16:33

Le sexisme… Un sujet qui monopolise l’actualité ces derniers temps, avec son cortège d’opinions plus ou moins sensées. Mais est-il encore pertinent aujourd’hui ? Nous tous, hommes et femmes qui nous prétendons civilisés, ne friserions-nous pas le ridicule ?

Écrire ce type d’article à l’heure actuelle est plutôt gênant ; gênant pour mes collègues masculins qui ont de bonnes manières et traitent tout le monde sur un pied d’égalité au travail. Gênant pour les hommes qui sont de piètres dragueurs et aux tentatives desquels les femmes ne doivent tout simplement pas réagir. Gênant pour les hommes qui doivent tirer leur honneur et leur satisfaction d’un grossier abus de pouvoir. Gênant pour mes collègues féminines, qui choisissent en toute connaissance de cause de faire étalage de leur décolleté pour tourner ce jeu de pouvoir à leur avantage, trivialement. Et douloureusement gênant pour les femmes qui refusent de participer, mais qui finissent par en être victimes malgré des « non » répétés.  Et nous n’avons pas encore abordé la question du travail et de la parentalité. Pour ne citer qu’un exemple, lorsque des femmes partent en voyage d’affaires, la majorité des belles-mères paniquent encore et surgissent à la porte de leur fils les bras chargés de soupe et de repassage. Super, un peu d’aide ! Mais quand ce sont les pères qui s’absentent… la plupart des mamans qui travaillent n’ont qu’à se débrouiller. Il y a encore pas mal de fausses notes dans notre système, c’est évident. Mais il est tout aussi clair que nous pouvons changer la donne.

Le sexisme appartient à la même famille que le racisme : il s’agit d’un comportement discriminant basé sur… l’apparence. Des remarques humiliantes ou triviales, des écarts de conduite, un salaire inférieur ou une promotion manquée, simplement en fonction du corps dans lequel vous êtes né(e). Pas de vos talents ou de votre énergie. Ni des connaissances, des diplômes, de l’expérience ou des capacités que vous avez acquis, et qui ne sont tout simplement pas pris en considération.

Quelques chiffres dont nous avons honte pour eux

Devons-nous encore, en l’an 2018, braquer les projecteurs sur les comportements discriminants (en fonction de ce que chacun a dans le pantalon) ? Le sujet mérite-t-il vraiment notre attention ?

Hélas, un regard sur les chiffres montre que la réponse est oui !

Une étude européenne menée à l’été 2016 par JUMP, une organisation qui promeut l’égalité entre hommes et femmes au travail, indique que 94 % des femmes ont été confrontées au sexisme au travail. Elle a regroupé 3300 participantes, dont 40 % de Belges et 38 % de Françaises.

Environ 75 % déclarent recevoir des commentaires sur leurs vêtements, ou ce qu’elles devraient porter. Une sur deux affirme être passée à côté d’une promotion (parce qu’elle a été accordée à un homme). Pas moins de 80 % expliquent qu’elles sont souvent interrompues par des hommes, quand ceux-ci ne se contentent pas de les ignorer, un phénomène baptisé le mansplaining.

(Le mansplaining ? Depuis 2016, le syndicat suédois Unionen a mis en place une permanence téléphonique permettant aux travailleurs du privé de signaler les cas de mansplaining, le ton condescendant que les hommes peuvent adopter lorsqu’ils tentent d’expliquer à une femme quelque chose qu’elle sait déjà. Cette permanence constitue une première étape dans le processus de conscientisation, et un changement dans la manière dont les hommes et les femmes se traitent mutuellement et parlent les uns des autres au travail. Regardez également cette compilation.)

Mais continuons avec les chiffres : les fonctions exercées principalement par des femmes sont moins valorisées et en moyenne moins bien rémunérées. Heureusement, en Belgique, l’écart salarial se resserre un peu chaque année : en 2007, il était de 25,3 % sur une base annuelle, en 2016, il se réduit mais reste déplorablement élevé : 20,6 %. En Belgique, 4 femmes sur 10 estiment que les femmes et les hommes qui ont les mêmes capacités ne bénéficient pas d’un salaire égal.

Petit recadrage : la permanence suédoise et l’étude européenne datent d’avant #metoo. Juste avant le 70e anniversaire de l’octroi du droit de vote aux femmes en Belgique, une onde de choc frappe le monde entier. Des femmes de tous les pays et de toutes les couches sociales (femmes de ménages, femmes politiques, divas de la pop) unissent leurs voix pour dénoncer un problème universel et séculaire : l’abus de pouvoir par les hommes.

De quoi est-il question ici ? Pas de féminisme tout de même ?

Je vous entends penser d’ici : est-ce que Julie serait féministe ? Le « féminisme » ne doit pas être confondu avec la haine des hommes (misandrie). Bien sûr qu’une féministe peut tomber éperdument amoureuse d’un homme. Par contre, elle ne croit pas que les femmes valent moins que les hommes, ou qu’elles doivent obéir à un homme simplement parce qu’il est né homme. Une féministe croit en l’égalité des droits pour la femme et l’homme. Et donc aussi qu’à travail égal, salaire égal.

Avoir des droits égaux ne veut pas forcément dire qu’hommes et femmes sont les mêmes. Il est évident que nous pouvons vouloir développer d’autres talents, induits ou non par notre éducation et notre culture. Mais cette discussion sur l’acquis et l’inné serait matière à un autre article.

Nos grands-mères ont obtenu le droit de vote. Nos mères ont été les premières à avoir leur propre compte bancaire, sans devoir demander l’autorisation de leur mari. Et aujourd’hui, nous pouvons aussi développer nos talents professionnels. Pouvons, et non devons. Chacun est libre de ses choix. Cette vidéo résume parfaitement la situation.

Notre société est donc en pleine évolution, ce qui engendre sur les lieux de travail (où les façons de penser n’évoluent pas au même rythme) des scénarios qu’on ne peut qualifier autrement que d’écœurants, pour rester polie. Après toutes les affaires qui ont éclaté, de Tarik Ramadan à Harvey Weinstein en passant par Jan Fabre, inutile de faire un dessin.

Power is a dirty thing, 80 % des victimes n’osent pas déposer plainte

Un commentaire revient souvent : « Si c’est si grave, pourquoi est-ce que personne n’a tiré (plus tôt) la sonnette d’alarme ? » La même étude de JUMP indique que 56 % des victimes ont honte, que 19 % se sentent coupables et que 80 % n’osent pas déposer plainte.

Cela n’a rien de très étrange dès lors il s’agit de vos revenus, de votre pain quotidien. Tout le monde n’a pas la liberté financière de résister : aux « blagues » sexistes ou à connotation sexuelle, aux gestes suggestifs lors d’une présentation, aux attouchements, à un salaire inférieur à celui des collègues masculins ou au plafond de verre. Tout le monde n’a pas la liberté financière de risquer son salaire. Pour se défendre contre l’abus de pouvoir. Et c’est là que le bât blesse : le pouvoir.

De l’intimidation sexuelle ? Chez nous, rien d’aussi grave encore

Liesbet Stevens, directrice adjointe de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes : « Pour travailler correctement, il faut se sentir en sécurité. Il faut que la confiance règne dans l’environnement professionnel. Il y a une énorme perte de talent à cause du sexisme au travail, ou parce que le sexisme n’est pas combattu à la racine. Comme l’intimidation sexuelle se manifeste généralement dans des situations en tête-à-tête, beaucoup d’hommes n’ont pas la moindre idée des misères que doivent souvent endurer les femmes. »

L’employeur a évidemment un rôle d’exemple à jouer ; il doit imposer des limites strictes aux réflexions triviales ou aux écarts de conduite, et déterminer ce qui est toléré dans la culture de son entreprise. Réfléchissez aux questions suivantes : à quel type d’entreprise ou d’organisation ai-je envie d’appartenir ? Est-ce que ces plaisanteries (répétées) sont vraiment amusantes ? Pour quelles raisons pourrait-on s’opposer à l’égalité professionnelle entre les genres ?  C’est de cette manière que l’équipe peut montrer le bon exemple. Même si c’est le dirigeant qui donne le ton.

Une bonne éducation ?

Le bon exemple, ça commence à la maison. Plus important que le sexe, c’est le talent et l’enthousiasme que l’on peut observer, reconnaître et encourager chez nos enfants (ou futurs travailleurs).

À nous donc d’élever nos fils et nos filles dans l’idée qu’ils choisiront un métier principalement parce qu’il les rendra heureux, dans lequel ils se sentiront bien, dont ils tireront satisfaction (link artikel T. Proserpio) et qui leur donnera envie d’évoluer. Dans l’idée qu’ils choisiront un environnement de travail principalement pour les opportunités d’épanouissement qu’il leur offrira.

Élever correctement des enfants demande du temps et des moyens. Pour des enfants bien dans leur peau, il faut des parents heureux. Comment mieux harmoniser le travail et la vie privée ? Le travail à domicile (artikel thuiswerk) constitue-t-il une solution ?

Se rapproche-t-on d’un semblant de réponse quand on permet aux parents de choisir la façon de répartir le congé parental, comme c’est le cas en Suède : là-bas, le congé parental est de 16 mois et le père et la mère se partagent cette période librement entre eux. Sur ces 16 mois, 13 sont rémunérés à 80 % du salaire et les 3 autres, au niveau des prestations. Les parents peuvent en outre prendre des congés sans solde à volonté les trois années qui suivent la naissance de l’enfant.

Pour conclure sur les mots d’Erwin Ollivier, General Manager d’Athlon Belgium et président du Voka : « La véritable égalité des genres est atteinte lorsqu’en tant que travailleur, vous ne devez plus choisir entre votre famille et votre carrière. »

C’est facile de se plaindre. Les problèmes sont là pour être résolus. Si le sexisme au travail est un jeu de pouvoir auquel nous ne voulons plus participer parce que nous avons dépassé ce stade, le moment ne serait-il pas venu de formuler ensemble de nouvelles règles du jeu ?

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