Le crédit-temps à l'ère de la réorganisation du secteur bancaire

Auteur: L'Echo (17/01/2020)
Temps de lecture: 5min
Date de publication: 27/01/2020 - 15:30
Dernière mise à jour: 29/05/2020 - 09:18

La justice n’a jamais su être appréciée à sa juste valeur. Même du temps de Salomon. Une des raisons de ce constat réside dans le fait qu’elle ne peut donner raison qu’à une des deux parties débattant devant un tribunal ou une cour. L’une est satisfaite, et encore parfois pas totalement, l’autre est perdante et déçue.

Que dire alors des cahots du parcours judiciaire qui peut connaître une arrivée différente en appel par rapport à celle jugée en première instance?

Un litige jugé par le tribunal du travail de Mons et de Charleroi, division de La Louvière, puis examiné en appel par la cour du travail de Mons (*), peut servir d’illustration.

Une employée administrative et commerciale travaille au service d’une petite entreprise de moins de 50 personnes. Elle demande et obtient de son employeur un crédit-temps de fin de carrière à mi-temps. La législation applicable prévoit que, dès la demande formulée par le travailleur pour pouvoir bénéficier d’un crédit-temps (avec des limites dans le temps avant la date de prise de cours de la réduction du temps de travail, selon le nombre de travailleurs occupés), celui-ci bénéficie d’une protection contre le licenciement.

L’employeur doit éviter tout "acte tendant à mettre fin unilatéralement" à la relation de travail, sauf en présence d’un motif grave, ou sauf s’il s’agit d’un "motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations de travail" du fait de l’exercice du droit au crédit-temps.

Si l’employeur qui rompt le contrat de travail ne peut apporter la preuve de la réalité ou de la gravité d’un motif grave ou s’il ne parvient pas à établir et à faire reconnaître l’existence d’un motif étranger à l’exercice du crédit-temps, le travailleur licencié peut réclamer une indemnité forfaitaire égale à six mois de rémunération, outre le préavis ou l’indemnité compensatoire de ce préavis.

La charge de la preuve repose sur les épaules de l’employeur

En l’espèce, les parties travaillent dans le secteur bancaire. L’employeur plaide que, depuis la crise de ce secteur en 2008, il en ressent encore les effets accentués par les soubresauts de 2012 et par la chute des revenus bancaires, liés à la baisse des taux d’intérêt, à l’accélération de la numérisation, à la concurrence de la banque "mobile", à la hausse des coûts opérationnels, à l’obligation d’améliorer les ratios de solvabilité.

Face à cette situation, il a procédé à différentes mesures d’économie. Il fait état de modifications au niveau managérial, de fermetures et de fusions d’agences et de licenciements. Il a ainsi licencié 11 collaborateurs, dont l’employée en crédit-temps, sur une période de cinq ans. Cinq de ceux-ci bénéficiaient d’un crédit-temps. Il produit une attestation de l’ONSS confirmant que les quatre travailleurs manuels ont disparu des déclarations et que sur les 41 employés, il en subsiste 28. En outre, l’employeur souligne qu’il a toujours examiné de manière positive les demandes de crédit-temps "pour le confort de ses collaborateurs". Il a ainsi conclu une convention collective améliorant et favorisant les conditions d’accès à cette réduction du temps de travail en fin de carrière.

Face à ces arguments, qu’ont décidé les juridictions sociales?

La partie appelante était l’employeur. Le tribunal du travail l’avait condamné à payer l’indemnité forfaitaire dite de protection égale à six mois de rémunération en déclarant l’absence de tout motif étranger à l’existence du crédit-temps.

La cour montoise est d’un autre avis. Selon elle, l’absence de production de bilans comptables ne peut être un élément décisif: les mesures de réorganisation ont été prises à temps de façon à éviter tout impact sur pareils bilans. Elle décide que l’employeur prouve la nécessité de réorganiser son entreprise en particulier dans le contexte de la crise bancaire, la réduction importante du personnel et l’absence de lien entre le licenciement de l’employée concernée et la réduction de ses prestations de travail du fait de l’exercice du droit au mi-temps.

Le jugement qui avait condamné l’employeur à payer une indemnité forfaitaire de plus de 10.800 euros est donc réformé.

Entre la date du début de la procédure et l’arrêt, l’employée a pu y croire pendant plus de trois ans. Sans apporter de crédit au temps écoulé.

 

* Arrêt du 27 novembre 2018, JTT 2019, p. 489.

Par PATRICE BONBLED, Consultant en droit social

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