Le paiement de la rémunération : la fin du paiement en espèces ?

Auteur: Brigitte Dendooven
Temps de lecture: 10min
Date de publication: 13/08/2018 - 13:19
Dernière mise à jour: 22/11/2018 - 16:40

Lors de sa séance du 26 mai dernier, le Conseil national du travail a rendu un avis au sujet de la modification de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération et, plus particulièrement, sur la suppression de la possibilité de payer la rémunération de la main à la main.

L’occasion pour nous de rappeler quelques obligations et règles (actuelles) à respecter en ce qui concerne le mode de paiement de la rémunération.

La rémunération des travailleurs fait l’objet d’une protection particulière ; cette protection est assurée, d’une part et de manière générale, par la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail et d’autre part et plus spécifiquement, par la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération.

Le travailleur a droit à la rémunération qui lui est due ; ce droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23 de la loi du 12 avril 1965.

Cette rémunération doit être payée aux conditions, au temps et aux lieux convenus (art.20 de loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail).      

Il est , par ailleurs, interdit à l’employeur de restreindre, de quelque manière que ce soit, la liberté du travailleur de disposer librement de sa rémunération à son gré.

Paiement en espèces – Dispositions actuelles

La rémunération en espèces doit être payée en monnaie ayant cours légal en Belgique lorsque le travailleur y exerce son activité. Lorsque cette activité est exercée à l’étranger, la rémunération en espèces doit être payée, à la demande du travailleur, en totalité ou en partie, soit en monnaie ayant cours légal en Belgique, soit en monnaie ayant cours légal dans le pays dans lequel le travailleur exerce son activité.    

Le paiement de la rémunération en espèces doit s'effectuer, soit de la main à la main (en argent liquide), soit en monnaie scripturale.

Pour les travailleurs occupés dans le secteur privé, la décision d'effectuer le paiement de la rémunération en espèces de la main à la main ou en monnaie scripturale est prise :

  • par le conseil d'entreprise ;
  • à défaut de conseil d'entreprise ou de décision unanime prise au sein de ce conseil, d’un commun accord entre l'employeur et la délégation syndicale ou, à défaut de cette dernière, entre l’employeur et la majorité des travailleurs ;
  • à défaut, avec le consentement écrit du travailleur, et ce, en monnaie scripturale. A défaut d'un tel accord, le paiement s'effectue de la main à la main.

Cela signifie qu’en l’absence de décision collective au niveau de l’entreprise, la rémunération peut uniquement être payée en monnaie scripturale si le travailleur individuel y consent par écrit. Sans ce consentement, le paiement doit s’effectuer de la main à la main.   Les décisions et les accords visés ci-dessus doivent indiquer les modes de paiement applicables dans l'entreprise, les modalités et les délais de changement du mode de paiement.

Le paiement de la main à la main

Si le paiement de la rémunération se fait de la main à la main, l'employeur doit soumettre à la signature du travailleur une quittance de ce paiement.  

L’employeur doit être en mesure d’apporter la preuve dudit paiement à défaut de quoi il encourt le risque de devoir s’en acquitter une seconde fois en cas de contestation ou de mauvaise foi du travailleur.

La loi du 12 avril 1965 ne précise pas le délai de conservation obligatoire de ces quittances, mais il est conseillé à l’employeur de les conserver durant une période d’au moins 5 ans suivant le paiement de la rémunération. Ce délai correspond au délai de prescription minimale d’une action civile et/ou pénale.

Le paiement de la rémunération de la main à la main doit, sauf accord des parties, se faire au lieu de travail ou à proximité de celui-ci.        

Le paiement en monnaie scripturale

En cas de paiement en monnaie scripturale, le paiement s’effectuera suivant les dispositions prévues par l’arrêté royal du 5 mars 1986 déterminant les modalités relatives au paiement de la rémunération en monnaie scripturale et à la cession ou la saisie de l’avoir du compte bancaire ou de chèques postaux auquel la rémunération est virée.

C’est-à-dire par :  

  • assignation postale ;
  • chèque circulaire ;
  • virement à un compte bancaire ou de chèques postaux.

En cas de paiement de la rémunération en monnaie scripturale, le travailleur a, en tout cas, le droit de choisir le paiement par assignation postale ou par chèque circulaire plutôt que le paiement par virement à un compte bancaire ou de chèques postaux.

La preuve de paiement sera établie d’office par les extraits de compte ou par le talon de l’assignation postale.

La rémunération est considérée comme n’étant pas payée lorsqu’elle l’a été en violation des règles exposées ci-dessus.

Remarques

Lorsque la rémunération du travailleur fait l’objet d’une saisie ou d’une cession, une certaine quotité de cette rémunération reste protégée et ce, à concurrence de certains plafonds.

Cette rémunération protégée peut continuer à être versée sur le compte bancaire du travailleur. Les montants crédités sur ce compte sont présumés partiellement incessibles ou insaisissables et resteront temporairement protégés. Ces montants doivent être codifiés afin d’être immédiatement identifiables (traçables).

La partie protégée de la rémunération peut cependant à la demande du travailleur, continuer à être payée de la main à la main, par assignation postale ou par chèque circulaire.

Lorsque le travailleur est un ressortissant d'un pays tiers (pays tiers à l’Union européenne ou pays non repris dans l’accord Schengen) en séjour illégal visé par la loi du 11 février 2013 prévoyant des sanctions et des mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour illégal et que son adresse postale et les données relatives à son compte bancaire ou de chèques postaux sont inconnues de l'employeur, ce dernier verse la rémunération qu'il n'a pas encore payée, au compte de chèques postaux de la Caisse des Dépôts et Consignations par virement. La taxe postale ou bancaire ne peut être déduite de la rémunération.

La proposition de loi et l’avis du Conseil national du travail

La proposition de loi soumise à l’avis du Conseil national du travail vise à supprimer la faculté de payer la rémunération de la main en argent liquide et ce, pour éviter qu’une partie de la rémunération soit payée en noir et échappe ainsi au paiement du précompte professionnel et des cotisations de sécurité sociale.

Le paiement de la rémunération ne s’effectuerait plus, en principe, qu’en monnaie scripturale.

De ce fait, l’obligation d’établir une quittance de paiement disparaîtrait.

Le Conseil national adhère au principe tout en souhaitant laisser dans ce domaine une certaine autonomie aux secteurs.

Plus concrètement :

  • En l’absence d’accord dans le secteur sur le paiement de la rémunération de la main à la main, cette forme de paiement ne sera plus autorisée, après l’introduction de l’interdiction de principe de payer la rémunération de la main à la main, que si elle est reprise dans un accord sectoriel formel.
  • Les accords sectoriels existants qui permettent le paiement de la rémunération de la main à la main dans leur secteur resteront valables pendant leur durée de validité et devront être respectés. Ils ne doivent donc pas être renégociés. Au terme de leur durée de validité, les partenaires sociaux des secteurs concernés devront examiner s’ils souhaitent conserver le paiement de la rémunération de la main à la main dans le secteur en le reprenant dans un nouvel accord sectoriel formel.  

Par ailleurs, les actuels accords implicites ou usages dans les secteurs sur le paiement de la main à la main pourront être maintenus sous certaines conditions :

  • Un des membres de la commission paritaire doit notifier l’accord implicite ou l’usage, ainsi que sa description à la commission paritaire. Cette notification peut avoir lieu jusqu’à un an après l’adaptation de la loi du 12 avril 1965.
  • A partir de cette notification, les autres membres de la commission paritaire disposent de 6 mois pour communiquer à la commission paritaire une réaction formelle et motivée à l’égard de l’accord implicite ou de l’usage qui a été notifié.
  • Si la commission paritaire reçoit une telle réaction négative formelle et motivée dans le délai susvisé, cette réaction est considérée comme la dénonciation de l’accord implicite ou le rejet de l’existence de l’usage dans le secteur, et le paiement de la rémunération de la main à la main ne sera plus possible dans le secteur, à moins qu’il ne soit repris dans un accord sectoriel formel.
  • Si la commission paritaire ne reçoit pas de réaction négative formelle dans le délai susvisé ou lorsqu’il y a un accord au sein de la commission paritaire, l’accord implicite ou l’usage sera consigné par la commission paritaire dans un registre public. Les partenaires sociaux, les entreprises du secteur ainsi que les inspecteurs sociaux pourront ainsi en prendre connaissance.
  • Un accord ou usage qui aura été enregistré de la sorte dans le secteur pourra continuer à exister jusqu’à ce qu’un membre de la commission paritaire communique à cette dernière une réaction formelle et motivée dénonçant l’accord implicite ou rejetant l’existence de l’usage dans le secteur, à moins que cet accord implicite ou cet usage ne soit repris dans un accord sectoriel formel.

Le Conseil demande que ces principes soient inscrits dans la loi du 12 avril 1965, ce qui assurera une certaine sécurité juridique pour tous les acteurs.

Sources : Loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération ; Avis n°1939 du Conseil national du travail du 26 mai 2015.

Auteur : Brigitte Dendooven

08-07-2015

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