Clauses de préavis conclues par les employés « supérieurs » : il faut les appliquer !

Auteur: Catherine Legardien
Temps de lecture: 9min
Date de publication: 06/08/2019 - 10:21
Dernière mise à jour: 06/08/2019 - 10:30

C’est ce qu’a confirmé la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 6 juin 2019. Elle a en effet jugé, suite à une question préjudicielle, que l'article 68, al. 3 de la loi relative au statut unique viole le principe d'égalité et de non-discrimination car, pour les employés « supérieurs », il ne permet pas, pour le calcul de la première partie du délai de préavis liée à l'ancienneté acquise au 31 décembre 2013, l'application d'une clause de préavis qui était valable à cette date[1].

Les faits

Un employé « supérieur » dont le contrat de travail conclu avant le 1er janvier 2014 contenait une clause de préavis[2] a été licencié moyennant le paiement d’une indemnité de rupture dans le courant de l’année 2014. L’application de cette clause de préavis donnait droit au travailleur à une indemnité couvrant un préavis de 60 mois.

L’employeur a toutefois refusé d’appliquer cette clause de préavis, au motif qu’elle n’était plus valable. Il invoque à cet effet l’article 68, al. 3 de la loi relative au statut unique.

L’employé intente une action auprès du tribunal du travail d’Anvers pour réclamer l’application de la clause de préavis.

Que dit l’article 68 ?

Pour rappel, le délai de préavis à respecter en cas de rupture, à partir du 1er janvier 2014, d’un contrat de travail conclu avant cette date est déterminé par l’addition de deux délais :

  • un premier délai de préavis calculé en fonction de l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013,
  • un second délai de préavis calculé en fonction de l’ancienneté acquise à partir du 1er janvier 2014[3].

L’article 68 de la loi relative au statut unique règle la première partie du délai de préavis, liée à l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013. En principe, ce délai de préavis est déterminé selon les règles légales, réglementaires et conventionnelles qui étaient applicables au travailleur au 31 décembre 2013.

Toutefois, un régime dérogatoire (article 68, al. 3) s’applique aux employés dont la rémunération annuelle brute dépasse 32.254€ (c’est-à-dire, les employés « supérieurs ») : le délai de préavis doit être fixé à un mois par année d’ancienneté entamée en cas de congé donné par l’employeur, avec un minimum de trois mois.

Pour ces employés, la première partie du délai de préavis est donc fixée forfaitairement. L’application de règles dérogatoires conventionnelles n’est pas possible (contrairement à ce qui est prévu pour les employés « inférieurs »). Par conséquent, une éventuelle clause de préavis qui aurait été conclue au moment de l’engagement de l’employé ne pourrait se voir appliquer.

Question préjudicielle

Le tribunal d’Anvers a constaté que la clause de préavis était valable mais il s’est demandé si cette clause pouvait encore être appliquée, eu égard à la loi sur le statut unique. Il a donc interrogé la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de l’article 68, al.3 de la loi relative au statut unique avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

N’y aurait-il pas, en effet, une discrimination entre les employés « supérieurs » et les employés « inférieurs » dès lors que les clauses de préavis conclues par les employés « supérieurs » ne seraient pas admises par la loi relative au statut unique, contrairement aux clauses de préavis conclues par les employés « inférieurs », puisque, pour ces derniers, leur délai de préavis est notamment fixé en fonction des règles conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013 ?

Que dit la Cour constitutionnelle ?

Selon la Cour, l’article 68 relative au statut unique dispose que la première partie du délai de préavis est déterminée sur la base des règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013. Par contre, il prévoit, pour les employés « supérieurs » (dont la rémunération annuelle brute est supérieure à 32.254€), un régime dérogatoire (article 68, al. 3) qui, en cas de licenciement, détermine la première partie du délai de préavis sur la base d’une formule forfaitaire. Il ne renvoie aucunement à la possibilité d’appliquer d’éventuelles clauses contractuelles de préavis.

Sur la base de cet article, la Cour examine, uniquement concernant la première partie du délai de préavis :

  • d’une part, si la distinction ainsi instaurée entre les employés « supérieurs » et les employés « inférieurs » est raisonnablement justifiée et
  • d’autre part, s’il est raisonnablement justifié que les employés « supérieurs » soient tous traités de la même manière, qu’ils aient conclu ou non, avant le 1er janvier 2014, une clause de préavis valable.

Le raisonnement de la Cour est le suivant.

1. L’objectif du législateur était, d’une part, d’éviter que les employés « supérieurs » doivent encore, au moment de la rupture du contrat, négocier le délai de préavis en ce qui concerne l’ancienneté de service acquise au 31 décembre 2013 et, d’autre part, de tenir compte des attentes légitimes de l’employeur et du travailleur en ce qui concerne l’ancienneté de service acquise à cette date.

2. Eu égard à ces objectifs, le législateur se base sur un critère de distinction objectif mais dénué de pertinence, puisqu’il ne prévoit pas, à l’égard des employés « supérieurs » qui avaient conclu, avant le 1er janvier 2014, une convention relative au délai de préavis à respecter, que cette convention puisse être appliquée pour le calcul de la première partie du délai de préavis, alors que de telles conventions peuvent être prises en compte pour les employés « inférieurs ». Étant donné les objectifs précités, il n’est pas pertinent non plus de traiter tous les employés « supérieurs » de la même manière, qu’ils aient ou non conclu avec leur employeur, avant le 1er janvier 2014, une convention relative au délai de préavis à respecter.

En effet, le régime d’exception prévu pour les employés « supérieurs » (article 68, al.3) s’applique également aux cas dans lesquels il existe une sécurité contractuelle en ce qui concerne les délais de préavis à observer et auxquels ce régime n’était donc pas censé s’appliquer.

3. La Cour en conclut, par conséquent, que l’article 68, al. 3 de la loi relative au statut unique n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle demande au juge du tribunal d’Anvers de mettre fin à la violation de ces normes, dans l'attente de l'intervention du législateur. Cela signifie concrètement que le juge peut appliquer la clause de préavis.

Notre conseil

Avant de licencier un employé supérieur, vérifiez que son contrat ne contient pas une clause de préavis conclue valablement avant le 1er janvier 2014. Si c’est le cas, vous devez en tenir compte en ce qui concerne la première partie du délai de préavis, c'est-à-dire le délai de préavis correspondant à l'ancienneté acquise avant le 1er janvier 2014.

Source : Cour constitutionnelle, 6 juin 2019, n°93/2019 R.G. n°6858.

 


[1] La Cour constitutionnelle s’était déjà prononcée en ce sens dans un arrêt du 18 octobre 2018 (voyez notre Infoflash« Les clauses de préavis conclues par les employés « supérieurs » avant la loi statut unique sont valables ! »).

[2] Avant l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2014, de la loi relative au statut unique, les employés dont la rémunération annuelle brute dépassait le montant de 64.508€ (montant au 31 décembre 2013) avaient, en vertu de l’article 82, §5 de la loi relative aux contrats de travail, la possibilité, au plus tard au moment de leur entrée en service, de conclure une convention concernant les délais de préavis à respecter par l’employeur.

[3] L’article 69 de la loi sur le statut unique règle la deuxième partie du délai de préavis, calculée en fonction de l’ancienneté acquise à partir du 1er janvier 2014. Ce délai est en principe déterminé selon les règles légales ou réglementaires applicables au moment de la notification du congé et donc, sur la base du régime harmonisé (délais de préavis en semaines).

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