Renoncer, c'est renoncer

Auteur: L'Echo (20/12/2019)
Temps de lecture: 5min
Date de publication: 07/01/2020 - 15:52
Dernière mise à jour: 26/05/2020 - 16:49

Par Robert De Baerdemaeker, avocat au Barreau de Bruxelles, associé Koan Law Firm

En toute logique, les mots qu’on utilise expriment le sens qui leur a été donné et permettent de communiquer. Parfois, ils ont une portée juridique et l’usage qu’on en fait est censé produire les effets recherchés.

L’articulation des uns par rapport aux autres ainsi que le fait de les répéter permettent d’identifier la volonté certaine de celui qui les a prononcés avec toutes les conséquences qui en découlent.

Dans un arrêt du 15 janvier 2019 (JTT 2019, p. 436), la cour du travail de Mons a procédé à la lecture stricte des écrits d’un travailleur.

Engagé dans un premier temps par un patron "en personne physique", repris par la société créée par celui-ci et transféré ensuite lors de la vente de l’entreprise, un directeur d’hôtel traînait avec lui un contentieux d’arriérés de rémunération, de pécules de vacances et d’affiliation à une assurance groupe.

L’intéressé prétendit toujours qu’il informa immédiatement le repreneur de l’entreprise de l’existence de ce contentieux; ce que ce dernier ne reconnut jamais. Il adressa alors une mise en demeure, qu’eu égard aux responsabilités qu’il exerçait chez le repreneur, il réceptionna lui-même…

Il affirma l’avoir transmise à son nouvel employeur, mais celui-ci n’y réserva aucune suite si bien qu’une procédure fut entamée.

Réellement surpris (?), le repreneur le licencia pour faute grave sans préavis ni indemnité lui reprochant d’avoir délibérément dissimulé une information importante à son employeur.

Un accord était manifestement intervenu à propos de la rupture du contrat sur la base du paiement d’une indemnité de rupture, mais il subsistait les anciennes demandes du cadre pour lesquelles celui-ci poursuivit la procédure.

L’employeur résistait en invoquant un certain nombre de documents démontrant, selon lui, que le travailleur avait transigé en renonçant auxdites demandes.

Pour apprécier la réalité de cette renonciation, la Cour disposait de sept courriels échangés entre le cadre et son avocat (n’est-ce pas couvert par le secret professionnel?) et d’autres communications entre les parties.

De ceux-ci, il émanait incontestablement qu’un accord était intervenu sur la base du paiement d’une somme déterminée et que cet accord devait impérativement être consacré par un écrit dans les meilleurs délais. En outre, en échange de l’exécution de ce paiement, il était convenu que le travailleur renoncerait à la procédure.

De cette correspondance, rien ne laissait apparaitre que le travailleur aurait maintenu ses prétentions pour ses autres demandes, la seule revendication qu’il exprima et pour laquelle il obtint gain de cause était le motif du chômage à indiquer sur le C4.

Pour la cour du travail, en s’exprimant comme il avait fait, le travailleur avait sans contestation possible manifesté sa volonté de renoncer à toutes ses demandes dès l’instant où un accord était intervenu sur le paiement d’une indemnité de rupture. La cour lui reprocha même ouvertement d’avoir osé poursuivre la procédure dont il lui apparaissait évident qu’elle n’avait plus lieu d’être.

Jurisprudence et doctrine s’accordent pour définir la renonciation comme étant l’abandon sans équivoque d’un droit qui se manifeste par un acte unilatéral. La manifestation de ce choix qui est fait librement est irrévocable et ne requiert aucun formalisme ni acceptation.

En droit du travail, il est exigé que le contrat de travail ait pris fin pour que la manifestation de la volonté du travailleur soit exempte de tout risque de pression de la part de l’employeur.

Enfin, pour renoncer à une renonciation, il faut impérativement le faire savoir avant que la manifestation de sa renonciation ne soit parvenue à son destinataire.

La cour précisa que la transaction avait été valablement conclue après que le travailleur a exprimé sa renonciation, la signature de celle-ci ne devant pas être concomitante.

Elle visait tout ce à quoi le travailleur aurait pu encore prétendre même si ses chefs de demande n’étaient pas énumérés complètement. L’action aurait dû, dès l’origine, être déclarée irrecevable.

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