Serge Litvine: "20% des établissements horeca ne survivront pas à la crise"

Auteur: L'Echo (28/03/2020)
Temps de lecture: 7min
Date de publication: 29/03/2020 - 15:30
Dernière mise à jour: 29/05/2020 - 09:51

Nous avons pris l'apéro "corona à la maison" avec l'homme d'affaires Serge Litvine, dont tous les restaurants sont fermés. Il redoute un "drame social, surtout si l’on songe que le secteur est l’un des plus grands pourvoyeurs d’emplois, surtout pour les non qualifiés".

 

"Entrez, entrez… nous ne sommes pas phobiques!" lâche Serge Litvine en ouvrant grand la porte de sa maison et Madame de vous accueillir en ajoutant "On a même du gel si vous voulez". C’est le second apéro "corona à la maison" et si certains refusent par prudence nos invitations, d’autres acceptent avec plaisir tout en nous expliquant prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires, comme évidemment celle de ne pas se serrer la main.

Dans le hall, reconnaissons que cela fait tout drôle de se retrouver les bras ballants et personne ne sait vraiment si cela implique aussi le fait de nous aider à retirer notre veste. D’emblée, on sent que chacun souffre du manque de contacts sociaux et c’est donc en très grande forme que Serge Litvine nous entraîne dans son grand salon où nous attend un plateau apéro qu’il a préparé lui-même, précise Madame avant de vaquer à ses occupations.

Au centre de celui-ci, une bouteille de champagne surnage au milieu des glaçons, les olives naturelles sont posées à côté de chips au sel et les verres sont en cristal; pour peu on se dirait presque à la Villa Lorraine. Question déco, c’est en effet un peu pareil, un goût très sûr en matière d’œuvres d’art, des tableaux, des sculptures et le tout entouré d’un écrin de verdure.

Et s’installant dans son fauteuil, notre hôte lance " Et le photographe prendra bien un petit verre de champagne?" avant de disposer les verres remplis de blanc de blancs sur des livres d’art et de photographies de jolies filles. C’est donc entre Monica (Belluci), Gisèle (Bunchen) et Laetitia (Casta) - sa préférée - que nous prendrons l’apéritif ce lundi soir.   

Il nous explique que tous ses restaurants sont fermés, 158 personnes au chômage technique, un drame pour tout le monde, même si pour d’autres c’est bien pire que pour lui. Il estime d’ailleurs que "20% des établissements horeca ne survivront pas à la crise, un drame social, surtout si l’on songe que le secteur est l’un des plus grands pourvoyeurs d’emplois, surtout pour les non-qualifiés". Alors oui, les reports et toutes les mesures annoncées, "c’est super mais cela ne fait que postposer le problème. Et le chômage aussi, on va le financer comment ?" nous interroge-t-il avant de confier qu’il continue à travailler tous les jours.

En effet, les traiteurs "Villa Lorraine" eux restent ouverts, en conséquence de quoi notre homme explique faire la tournée de chaque établissement pour encourager les troupes – il songe d’ailleurs à une prime pour les remercier de travailler – et aussi, entreprise familiale oblige, il explique avoir la chance de côtoyer ses enfants quotidiennement. Sur le fond, mis à part la fermeture des restaurants, ce qui change pour lui, c’est le fait de ne plus voir aucun de ses amis. Parmi ceux-ci, pas mal ont été touchés par la maladie mais "heureusement, tout le monde va mieux. Mais c’est le manque de vie sociale qui est le plus dur à présent".

Concernant les mesures de confinement édictées par les gouvernements, le patron se montre nettement plus dubitatif. "Pour ceux qui sont dans des secteurs où il est permis de travailler, le confinement me paraît quand même une notion à géométrie variable et ce que je constate surtout, c’est que tout a été fait de travers". Lui, ce qu’il pense, c’est qu’on aurait surtout dû confiner les personnes les plus à risque, les personnes vulnérables, mais certainement pas toute la population et le tout, en généralisant  "évidemment les tests de détection". Un peu plus de "mesure", moins "d’affolement" et même des solutions " progressives " au lieu de tout interdire.

De là à suivre ceux qui prônent le recours à l’ immunité collective, il ne saurait le dire, il n’est pas médecin, mais concernant les restaurants par exemple, on aurait pu imaginer des mesures intermédiaires, comme retirer une table sur deux pour maintenir deux mètres de distance entre les clients. " Le confinement total ça ne marche que dans des régimes totalitaires, ici cela ne peut pas fonctionner. Regardez dehors, il n’y a jamais eu autant de gens dans la rue et dans les parcs, on dirait un dimanche sans voiture. Et dans 15 jours, ce sera pire encore. Dès que le pic aura été atteint, les gens sortiront encore plus. Sans compter qu’un vrai confinement, ce n’est pas laisser certains travailler, c’était de dire "Faites des provisions pour 15 jours et personne ne sort"".

 

Ses pronostics sur la durée de la crise? Confinement levé après les vacances de Pâques sans doute, cependant la reprise prendra bien plus de temps que l’on ne l’imagine car si certains reprendront la vie normalement, d’autres continueront à avoir peur ou de lutter contre la maladie. "On ne réalise pas encore à quel point l’impact socio-économique sera grand! Et pour ma part, je pense qu’il est illusoire de penser qu’on vivra différemment après, l’homme retombera très vite dans ses travers égoïstes surtout. Regardez la crise financière de 2008, quelles conséquences en avons-nous tirées ? Aucune et la spéculation bat toujours son plein".    

Non, tout va de travers, franchement. On le voit bien avec le coronavirus aujourd’hui: "Ce pays est ingouvernable, beaucoup trop de ministres, beaucoup trop de particratie, trop de compromis et de mauvaises solutions face à la crise que l’on vit". Un exemple parmi d’autres, Litvine vient de donner 1.000 gels hydroalcooliques au Chirec mais voilà, le personnel hospitalier ne peut pas les utiliser parce que le stock doit être préalablement "agréé par le ministère de la Santé". Alors oui, en temps normal, on peut comprendre, mais face aux drames que vivent les hôpitaux, il faut arrêter. Sinon, Maggie De Block? "Démission!" tonne-t-il en remplissant les verres. "Avec un degré pareil d’incompétence - que ce soit sa responsabilité directe ou indirecte - peu importe, la moindre des choses serait d’avoir la décence de se retirer".   

Une confédération

 

Maintenant, sur le fond, ajoute-t-il en s’attaquant aux olives : "La Belgique ne s’en sortira qu’en devenant une confédération, à force de toutes ces compromissions, admettons que nous n’allons plus nulle part".

 

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