Où en est-on en matière de déduction des dépenses de sociétés?

Auteur: L'Echo (20/11/2019)
Temps de lecture: 5min
Date de publication: 04/12/2019 - 09:24
Dernière mise à jour: 10/06/2020 - 15:42

Une récente jurisprudence de la Cour de cassation mettrait fin au financement par des sociétés des résidences à la côte de leurs dirigeants, après que la même jurisprudence se fût égarée à admettre de manière laxiste la déduction fiscale des dépenses exposées par les sociétés.

Je reviens à la rubrique publiée à la Une de l’édition de l’Echo du 29 octobre 2019*. Celle-ci faisait état d’une jurisprudence récente de la Cour de cassation qui mettrait fin au financement par des sociétés des résidences à la côte de leurs dirigeants, après que la même jurisprudence se fut égarée à admettre de manière laxiste la déduction fiscale des dépenses exposées par les sociétés.

Il est utile de reposer la question dans son contexte. Pour être déductible, une dépense doit avoir été exposée à des fins professionnelles et être justifiée quant à sa véracité et son montant.

Face à certaines opérations exécutées par des sociétés qui visaient à détruire leur base imposable, la Cour de cassation a décidé un peu rapidement que des dépenses ne peuvent être déduites que si elles sont inhérentes à l’exercice de la profession, c’est-à-dire, puisqu’il s’agit d’une société, si elles se rattachent nécessairement à son activité sociale.

Cette jurisprudence était malencontreuse car le pouvoir judiciaire y imposait une condition de déductibilité des charges que le pouvoir législatif n’avait pas prévue. Or il n’appartient pas à l’organe judiciaire de se substituer à l’organe législatif, certainement en matière fiscale.

Très heureusement, la Cour de cassation est revenue explicitement sur son erreur et a prononcé plusieurs arrêts en juin 2015 selon lesquels il ne résulte pas de la loi que la déduction de charges professionnelles serait subordonnée à la condition qu’elles soient inhérentes à l’activité sociale de la société commerciale telle qu’elle ressort de son objet social. Ceci est très précisément la jurisprudence laxiste dénoncée le 29 octobre dernier.

La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’une dépense professionnelle ne devait pas générer un revenu professionnel déclaré d’un montant supérieur pour être déductible.

Depuis des lustres, la loi évalue les avantages en nature accordés à titre de rémunération de manière très favorable à leurs bénéficiaires. Le parc automobile belge s’est largement développé grâce à la taxation forfaitaire avantageuse chez l’utilisateur d’un véhicule de société tandis que la société peut compter sur la déduction d’une large part du coût effectif du même véhicule. On peut faire le même constat quant à la mise à disposition d’un logement.

La loi subordonnant la déduction d’une dépense à la preuve de la véracité de celle-ci, l’administration a considéré pouvoir refuser la déduction de dépenses faites par une société pour fournir un logement à son dirigeant si les prestations de ce dernier ne justifiaient pas l’avantage rémunératoire accordé.

La Cour de cassation lui a donné raison par ses arrêts du 14 octobre 2016. Cependant, la Cour de cassation ne s’est pas immiscée dans la question de savoir si les bénéficiaires des avantages les avaient mérités, dans les affaires qui lui étaient soumises, ni si de ce fait les sociétés concernées devaient pouvoir déduire les frais exposés pour les leur accorder. La Cour de cassation n’apprécie jamais les faits.

Dans un arrêt du 21 septembre 2018, la Cour de cassation a admis qu’un juge ait pu considérer qu’une société ne démontrait pas le caractère professionnel de l’achat d’un logement à la mer qu’elle mettait quasi gratuitement à la disposition de son dirigeant. Cela relève de l’appréciation des faits par le juge du fond. La Cour de cassation a cependant pris soin de rappeler sa jurisprudence de 2015.

Le quatrième pouvoir a pris le pli de se réjouir de régimes fiscaux sévères appliqués aux sociétés. Mais la presse mesure-t-elle l’effet de ses revendications?

Reprenons l’exemple des voitures de sociétés. Veut-on qu’un employeur vérifie les prestations de chacun de ses employés pour déterminer si le coût de sa voiture est déductible, quitte à remplacer cet avantage en nature par l’équivalent en espèces de la mesure fiscale de cet avantage? Ira-t-on jusqu’à refuser à une société de déduire le salaire d’un employé paresseux, au motif qu’il ne rapporte rien?

* Lire L’Echo du 29/10/19, Fini la déduction du studio à la Côte de ses frais professionnels.

Articles connexes