Heures supplémentaires, pointages et règlement de travail

Auteur: Brigitte Dendooven
Temps de lecture: 9min
Date de publication: 13/08/2018 - 13:19
Dernière mise à jour: 23/11/2018 - 13:07

L’arrêt rendu le 2 février 2015 par la Cour du travail de Mons nous offre l’opportunité de faire le point sur le paiement de la rémunération due pour les dépassements de l’horaire de travail révélés par la liste de pointage du travailleur.

Le litige soumis à la Cour opposait une société commerciale à un employé , en l’occurrence un cuisinier occupé à temps partiel lequel avait remis sa démission, en raison, invoquait-il, d’irrégularités diverses commises par son employeur tout au long de la durée de son contrat (refus de rémunérer le temps de vestiaire, retrait mensuel opéré sur la rémunération en cas d’arrivée tardive, prestations accomplies en dehors de l’horaire de travail, etc.).

Cet employé avait déposé plainte auprès des services de l’Inspection des lois sociales et saisi le tribunal du travail.

L’employeur contestait les allégations de son ex-employé et relevait que celui-ci n’avait jamais formulé le moindre reproche à son égard mais, au contraire, qu’il avait reçu plusieurs avertissements. De son côté, l’employé tenait un autre langage… et réclamait, entre autres sommes, le paiement des heures non comptabilisées mais prestées en fin de journée en dépassement des horaires de travail.

Le tribunal lui donna raison et condamna l’employeur à lui verser pour lesdites heures (s’étalant sur une période de 5 ans) la somme de 1331,04€ ainsi que les pécules de vacances y afférents.

Appel est interjeté par l’employeur lequel reproche au tribunal d’avoir retenu la demande de l’employé alors que celui-ci n’avait jamais sollicité ou obtenu l’accord écrit pour prester des heures supplémentaires, comme l’exigeait le règlement de travail.

Par ailleurs, l’employeur faisait valoir, dans l’hypothèse où la Cour devrait estimer que la rémunération des heures supplémentaires est due, qu’il conviendrait, pour fixer la date d’exigibilité des sommes réclamées de se référer à la date prévue à l’article 9bis, §1, al.2 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération.

La Cour du travail de Mons débouta l’employeur.

Suivons son raisonnement.

Les principes

La rémunération constitue la contrepartie du travail qui est exécuté en vertu d’un contrat de travail et le travailleur a droit au paiement par l’employeur de la rémunération qui lui est due (art.3 bis de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération).

Le travail supplémentaire justifie le paiement d’une rémunération ordinaire qui doit être payée en même temps et être établie de la même manière que la rémunération due pour la période de paie au cours de laquelle le repos compensatoire est accordé (art..9bis,§1, al.1 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération). C’est ce qu’on appelle le paiement différé de la rémunération normale (à 100 %) afférente aux heures de dépassement des limites légales ou conventionnelles de la durée hebdomadaire de travail.

Il va, toutefois, de soi qu’en cas de contestation émise par l’employeur sur les heures supplémentaires invoquées par le travailleur, il incombe à celui-ci de fournir la preuve de ses allégations en vertu de l’application conjointe des articles 870 et 1315 du code judiciaire.

Le travailleur doit, également, démontrer l’accord de l’employeur portant sur l’accomplissement de ces heures, cet accord résultant, soit d’une demande de sa part, soit d’une approbation même tacite dans son chef.

Les fiches journalières de prestations sont opposables au travailleur pour autant qu’il les aie signées.

Par contre, la circonstance selon laquelle le travailleur s’est abstenu de réclamer la rémunération de ses prestations de travail pendant l’exécution du contrat de travail est sans incidence aucune sur son droit à la rémunération : en effet, la renonciation à un droit ne se présume pas (et pas davantage la déchéance d’un droit) et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d’une autre interprétation.

La décision de la Cour

Il ressort des feuilles de pointage que des heures supplémentaires n’ont pas été rémunérées alors qu’elles ont été prestées par l’employé concerné; ces feuilles sont opposables à l’employeur puisqu’elles constituent un document interne à celui-ci sur base duquel il a, notamment, entendu opérer des retenues sur la rémunération en cas d’arrivées tardives sur le lieu de travail et de départs anticipés.

L’employeur soutient que les travailleurs devaient, en vertu du règlement de travail, obtenir l’accord de l’employeur pour prester des heures supplémentaires et se les voir rémunérer.

Or, en vertu de la hiérarchie des normes fixée à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires, un règlement de travail ne peut contrevenir à un norme supérieure, en l’occurrence la loi du 12 avril 1965 précitée qui prévoit que le travailleur a droit au paiement par l’employeur de la rémunération due en exécution des prestations de travail accomplies.

L’employeur ne peut prétendre que cette demande n’est pas justifiée dans la mesure où il suffit de comparer les feuilles de pointage qui reprennent l’ensemble des heures prestées par l’employé à ses fiches de paie pour constater que toutes les heures renseignées sur les feuilles de pointage n’ont pas été rémunérées.

Ces heures ont été prestées avec l’approbation, à tout le moins tacite, de l’employeur : en effet, ce dernier n’aurait pas hésité à s’émouvoir des prestations supplémentaires accomplies par l’employé si, d’aventure, il n’y avait pas consenti tacitement ou n’en avait pas réclamé formellement l’exécution et ce, d’autant plus qu’il a eu recours à ces feuilles de pointage pour opérer des retenues pour arrivées tardives ou retards anticipés.

L’employeur avait donc parfaitement connaissance de l’accomplissement d’heures supplémentaires sans que cela ait suscité la moindre réaction dans son chef.

Les heures supplémentaires renseignées sur les fiches de paie doivent donc être payées.

On le rappelle, l’employeur a fait valoir, dans l’hypothèse où la Cour devrait estimer que la rémunération des heures supplémentaires est due, qu’il conviendrait, pour fixer la date d’exigibilité des sommes réclamées, de se référer à la date prévue à l’article 9bis, §1, al.2 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération[1].

Cet argument est rejeté par la Cour du travail : l’hypothèse envisagée par cette disposition légale est étrangère à la situation soumise à la Cour puisqu’elle vise l’hypothèse d’un repos compensatoire qui n’est pas octroyé pendant plus de 6 mois en raison de la suspension de l’exécution du contrat.

Dans ce cas de figure précis, la loi prévoit que la rémunération restant due était payée à l’issue de ces 6 mois et devait être établie de la même manière que la rémunération qui aurait été due à ce moment.

L’employé est donc en droit de prétendre au bénéfice des intérêts légaux dus sur la somme brute de 1331,04€ à dater de l’exigibilité des sommes dues conformément à l’article 10 de la loi du 12 avril 1965.

La Cour confirme également le droit au paiement des pécules de sortie sur les 1331,04 € dus.

En conclusion : c’est au travailleur de prouver qu’il a presté des heures supplémentaires et que ces heures ont été prestées avec l’accord (à tout le moins tacite) de l’employeur.

Des feuilles de pointage acceptées par l’employeur et dont il s’est, par ailleurs servi pour opérer des retenues sur la rémunération priment sur les dispositions du règlement de travail selon lesquelles les heures supplémentaires ne peuvent être prestées qu’avec l’accord de l’employeur.

Source : Cour du travail de Mons du 2 février 2015, N°de rôle 2013-AM-405

[1] Cet article précise que lorsque le repos compensatoire n’a pas été octroyé en raison de l’article 26 bis, §3, al.4 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, la rémunération restant due est payée à la fin du délai de 6 mois prévu par cet alinéa et doit être établie de la même manière que la rémunération qui aurait été due à ce moment.

Auteur : Brigitte Dendooven

17-07-2015

Le site web de Partena Professional est un canal permettant de rendre les informations accessibles sous une forme compréhensible aux membres affiliés et aux non-membres. Partena Professional s'efforce d'offrir des informations à jour et ces informations sont compilées avec le plus grand soin (y compris sous forme d'infoflash). Cependant, la législation sociale et fiscale étant en constante évolution, Partena Professional décline toute responsabilité quant à l'exactitude, la mise à jour ou l'exhaustivité des informations consultées ou échangées via ce site web. D'autres dispositions peuvent être lues dans notre clause de non-responsabilité générale qui s'applique à chaque consultation de ce site web. En consultant ce site web, vous acceptez expressément les dispositions de cette clause de non-responsabilité. Partena Professional peut modifier unilatéralement le contenu de cette clause de non-responsabilité.