Pension légale de retraite de l’indépendant : Retour vers le futur

Auteur: NGUYEN Xuan-Lâm (Avocat)
Temps de lecture: 8min
Date de publication: 04/10/2024 - 14:26
Dernière mise à jour: 11/10/2024 - 16:10

Au rayon des sujets qui fâchent l’indépendant, celui de sa pension de retraite occupe assurément une place de choix.

Son comptable lui aura déjà, probablement, conseillé de souscrire une pension complémentaire libre pour indépendant (PLCI) et de ne pas se contenter d’attendre sagement 65 ans (66 dès 2025).

La pension légale de retraite de l’indépendant est-elle trop faible ?  Elle est, à tout le moins, la plus petite des trois régimes de notre sécurité sociale : en janvier 2023, la pension de retraite moyenne d’un indépendant était de 1.156 € brut, pour 1.615 € chez le travailleur salarié et 3.381 € pour le fonctionnaire belge.

Si la pension légale de retraite du fonctionnaire relève d’une toute autre philosophie, celle qui sous-tend le régime des travailleurs salarié est rigoureusement identique à celle des travailleurs indépendants. Il s’agit, dans ces deux derniers cas, d’un pourcentage de la moyenne des revenus gagnés par le travailleur sur l’ensemble de sa carrière.

La différence, non négligeable, s’est pourtant lissée avec les années… et continue de s’amenuir.

Retard à l’allumage

On le sait, les indépendants ont pris le train de la sécurité sociale en marche. Leur couverture obligatoire contre la vieillesse fut instaurée en 1956, contre 1924 pour les ouvriers et 1925 pour les employés.

La figure du travailleur indépendant s’est construite comme celui qui se refuse à troquer sa subordination contre une certaine protection sociale : on ira même jusqu’à dire que, sémantiquement, l’indépendant s’oppose, presque par définition, au principe de solidarité qui fonde notre système de sécurité sociale.

Cette image d’Épinal de l’indépendant qui affronte, seul, une vie professionnelle et personnelle semées d’embûches, a partiellement vécu : qu’il s’agisse des allocations familiales en 1937, des pensions en 1956 ou d’une couverture obligatoire contre la maladie en 1964, le 20ème siècle a, heureusement, vu différentes branches de la sécurité sociale s’ouvrir aux indépendants.

Ce mouvement n’a fait que s’accélérer au tournant des années 2000, grâce à la revalorisation importante de la pension des travailleurs indépendants et la naissance de branches propres de la sécurité sociale, comme le droit passerelle en 2016.

À n’en plus douter, le travailleur indépendant est, désormais, un assuré social à part entière ; ce ne sont pas les quelques 433.347 indépendants bénéficiaires du droit passerelle de crise en 2020 qui nous contrediront.

Rattrapage en cours… 

Ces cinquante dernières années, différentes mesures ont permis à la pension légale de retraite des indépendants de grignoter son retard sur celle des salariés.

Citons notamment :

  • en 1984, le passage d’une pension forfaitaire vers une pension proportionnelle aux revenus de l’indépendant, avec l’entrée en vigueur de la loi Mainil. On instaure également, par la même occasion, une pension minimale pour les indépendants ayant eu une carrière significative ;

  • au cours des années 2010, le relèvement progressif de la pension minimum des travailleurs indépendants sur la pension minimum des travailleurs salariés (alors plus importante), jusqu’à sa parfaite harmonisation ;

  • En 2013, le démantèlement du système de malus qui grevait, dans certains cas jusqu’à 25 %, la pension des travailleurs indépendants partant anticipativement à la retraite ;

  • Depuis le 1er janvier 2022, la suppression des fameux coefficients de correction instaurés en 1984 par la loi Mainil et qui, à la grosse louche, rabotaient près d’un tiers de la pension des travailleurs indépendants.

… et harmonisation presque totale en 2067

En matière de pensions, les réformes s’envisagent sur le temps long.

La suppression progressive de la pension forfaitaire, décidée en 1984, sera ainsi totalement achevée en 2029. 

Il faudra, par ailleurs, attendre… 2067 pour qu’un indépendant puisse toucher une pension de retraite entièrement libérée des coefficients de correction.

Avec, à terme, une pension de retraite revalorisée qui devrait se rapprocher de celle du régime salarié. Certaines différences subsisteront cependant encore : en particulier, les périodes d’inactivité professionnelle assimilées à des périodes d’activité demeurent, à ce jour, plus importantes dans le régime salarié.

À titre d’exemple, on citera évidemment le chômage, branche de la sécurité sociale qui n’existe que dans le régime salarié, et qui entre bien en compte dans le calcul de la pension des contractuels.

La nécessaire question du financement de ces mesures

N’y a-t-il dès lors que des bonnes nouvelles à annoncer aux indépendants ?

Hélas, non : le tableau ne pourrait être complet sans évoquer l’épineuse question du financement de ces mesures, et plus concrètement du calcul des cotisations sociales des travailleurs indépendants.

Le rehaussement, sensible, de la pension légale de retraite des travailleurs indépendants entraîne, mathématiquement, l’augmentation tout aussi sensible des dépenses dans la branche pension du régime indépendant.

Sans pour autant, à ce jour, que les recettes de ce régime n’aient été augmentées. Le trou qui se creuse est, pour l’instant, comblé par la dotation générale de l’Etat, et donc concrètement la solidarité nationale. Mais jusqu’à quand ?

Certains chercheurs posent désormais ouvertement la question d’une plus grande solidarité entre les indépendants, soit, en pratique, d’un effort plus important à fournir par les indépendants dégageant le plus de revenus professionnels.

On pense ainsi aux professeurs Ria Janvier et Daniel Dumont, qui enseignent tous les deux le droit de la sécurité sociale, respectivement, à l’Université d’Anvers et à l’ULB, et se sont chacun fendus d’articles aux titres pour le moins évocateurs…

Ces spécialistes pointent notamment la dégressivité des cotisations sociales de l’indépendant ; de quoi s’agit-il ?

En réalité, les cotisations sociales ne sont pas directement proportionnelles aux revenus de l’indépendant : au contraire, le taux de cotisation chute à mesure que les revenus augmentent. 

Ainsi, à partir du plafond intermédiaire de 72.810,96 € de revenus professionnels annuels, le taux de cotisation passe de 20,50 % à 14,16 % ; lorsque les revenus dépassent la somme de 107.300,30 €, aucune cotisation supplémentaire n’est due (le taux de cotisation est donc de 0 %).

Prenons un exemple : un indépendant dont les revenus annuels sont de 110.000,00 € versera exactement le même montant de cotisations sociales qu’un indépendant dont les revenus professionnels sont de 1 millions d’euros par an. À suivre rigoureusement le principe de solidarité, on attendrait pourtant des plus hauts revenus qu’ils contribuent davantage.

Cette revendication d’une plus grande solidarité entre les indépendants eux-mêmes était reprise dans l’accord du Gouvernement VIVALDI ; nouvelle illustration du compromis à la belge, elle venait manifestement contrebalancer la suppression des coefficients de correction. Cette mesure n’a toutefois pas été adoptée lors de la législature précédente.

Gageons, néanmoins, que nous n’avons pas fini d’en entendre parler…

NGUYEN Xuan-Lâm - Avocat

À propos de l'auteur

Xuan-Lâm NGUYEN 

 

Xuan-Lâm NGUYEN est inscrit au tableau de l’ordre des avocats du Barreau de Liège-Huy depuis 2014. Spécialisé en droit du travail et de la sécurité sociale, il conseille tout autant les employeurs que les travailleurs, les indépendants mais aussi les fonctionnaires ; il assure également leur défense devant les juridictions belges.

 

Fondateur du cabinet NXL en 2018, Xuan-Lâm affectionne particulièrement le statut social des travailleurs indépendants, matière qu’il pratique quotidiennement. 

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